COMMENTAIRE ÉCONOMIQUE:
YU GUANGYUAN

Deng Xiaoping, dirigeant de la Chine de 1978 à 1989, est connu comme «l’architecte de la Chine moderne» en raison du fait que ses réformes ont jeté les bases de l’essor économique de la Chine contemporaine. Durant cette période, Yu Guangyuan était le directeur du Bureau de recherche politique du Conseil des affaires d’État, le premier directeur de l’Institut de recherche économique de la Commission d’État pour la planification, le vice-président de l’Académie chinoise des sciences sociales et le directeur de l’Institut de recherche marxiste de cette même académie.

En d’autres termes, il fut l’économiste le plus influent sous Deng Xiaoping. Entre autres, Yu Guangyuan est reconnu comme l’auteur du célèbre discours prononcé par Deng en 1978, intitulé «Libérer la pensée, rechercher la vérité dans les faits et s’unir pour aller de l’avant», lors de la troisième session plénière du 11e Comité central du Parti communiste chinois, qui marqua le début des réformes économiques de la Chine. Ce fut une période où le Parti passa officiellement de l’accent mis par Mao Zedong sur la lutte des classes à la politique de réforme et d’ouverture prônée par Deng Xiaoping.

À propos de la réforme économique en Chine

Le livre «Chinese Economists on Economic Reform – Collected Works of Yu Guangyuan» fait partie d’une série publiée par Routledge intitulée Routledge Studies on the Chinese Economy. Il présente une collection de textes portant sur les réflexions relatives aux fondements des Quatre Modernisations, afin que la Chine puisse devenir un grand pays socialiste avant la fin du XXᵉ siècle, c’est-à-dire un pays qui accroît sa production grâce aux hautes technologies dans le but d’améliorer le niveau de vie de sa population. L’élévation du niveau de vie de la population constitue l’objectif ultime des processus de réforme.

Guangyuan écrit que Marx et Engels ont clairement affirmé que le socialisme remplacerait le capitalisme, mais qu’ils ont fourni peu de descriptions de ce à quoi une future société socialiste devrait ressembler. Tout en demeurant fidèle à la théorie marxiste du socialisme et en étudiant les expériences positives et négatives d’autres pays socialistes et capitalistes, Guangyuan estimait qu’il était nécessaire de tenir compte des réalités chinoises lors de l’élaboration des plans de réformes essentielles. À cette fin, Guangyuan cite la Yougoslavie, la Roumanie et la Hongrie comme exemples de pays socialistes réussis. En 1978 et 1979, il a fait partie de délégations chinoises chargées d’ étudier les systèmes économiques et sociaux de ces pays.

La Yougoslavie fut le premier pays socialiste à abandonner le modèle de développement soviétique, et la délégation chinoise, au cours d’un séjour de trois semaines, fut fascinée par la rapidité des constructions, notamment la reconstruction de Skopje après le tremblement de terre ou encore le nouveau quartier de Belgrade, surtout si l’on considère que, pendant la même période, la construction d’une ligne de métro à Pékin avait duré huit ans et n’était toujours pas achevée.

La Hongrie laissa également une impression positive à la délégation chinoise, notamment en raison de son approche des réformes économiques, qui fut minutieusement étudiée et planifiée pendant trois ans avant d’être lancée en 1966. De cela, on peut conclure combien il est important de préparer les fondations de réformes à long terme fondées sur des principes solides, tout en conservant une certaine flexibilité face à l’évolution des conditions nationales et internationales. La célèbre maxime attribuée à Deng Xiaoping: «Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape des souris» résume parfaitement l’approche pragmatique des réformes économiques.

Guangyuan soutenait qu’il est nécessaire de construire un cadre économique socialiste guidé par les principes du matérialisme dialectique et historique (en particulier la loi de la négation de la négation). On constate ici que le marxisme, en tant que science, constitue le fondement de la construction du socialisme. Le chemin vers le socialisme exige de la flexibilité, des adaptations constantes et des réformes, afin de résoudre les contradictions découlant des conditions matérielles concrètes. La tâche historique consiste à progresser vers le socialisme en développant l’ économie et les forces productives, tout en affrontant les contradictions rencontrées tout au long de ce long parcours.

Selon l’isohyète, la Chine peut être divisée en deux parties: le sud-est développé, où vit 94% de la population, et le nord-ouest moins développé, qui abrite 6% de la population. Le sud-est, comprenant les zones côtières, fut à l’avant-garde dans la mise en œuvre des QuatreModernisations, favorisant les progrès technologiques et scientifiques, tandis que le nord-ouest se compose de régions arides et semi-arides. Cependant, l’auteur s’opposait à la protection des régions moins développées, préconisant plutôt leur ouverture à la concurrence intérieure tout en maintenant l’unité vis-à-vis des autres pays. Même les régions moins développées possèdent un potentiel économique, affirmait Guangyuan, citant un proverbe chinois selon lequel «même un petit moineau possède tous ses organes internes».

La première étape du socialisme en Chine ne commença véritablement qu’en 1956, lorsque la transformation du secteur privé en propriété publique socialiste fut achevée. Au cours des deux décennies suivantes, l’économie fondée sur la propriété publique devint si solide que la coexistence avec les secteurs non publics (capitaliste et individuel) fut ouvertement encouragée, à condition que la propriété publique demeure la pierre angulaire du système. Guangyuan en explique la logique (p. 100): «Prenons l’exemple du plein emploi des résidents urbains. Actuellement, dans le secteur public, le gouvernement doit investir en moyenne plus de 10 000 RMB pour créer un emploi, alors qu’il n’investit rien dans l’économie individuelle; il peut ainsi consacrer davantage de ressources aux projets clés, afin de mieux promouvoir le développement du secteur public».

De plus, dans la première étape du socialisme, en raison de la distribution fondée sur le travail, il est parfaitement acceptable de permettre à certains de s’enrichir en premier (p. 102): «Dans une étape aussi spécifique, l’objectif de laisser certains s’enrichir en premier est d’encourager et d’aider les autres à suivre leur exemple afin d’atteindre la prospérité commune. Par conséquent, une telle idée n’est pas contradictoire avec l’objectif de la prospérité commune et constitue un moyen important pour la réaliser. Lors de sa mise en pratique, il est nécessaire de gérer correctement sa relation avec la prospérité commune de l’ensemble de la société, afin d’éviter un large écart entreriches et pauvres comme on le constate dans une société fondée sur la propriété privée».

Il soulignait que la Chine devait comprendre la loi de l’avantage du retardataire (p. 104): «Puisque les pays avancés n’ont pas d’expérience sur laquelle s’appuyer, ils doivent largement tâtonner et peuvent suivre une voie détournée, voire commettre des erreurs. Mais leurs suiveurs peuvent emprunter un chemin plus facile s’ils tirent soigneusement les leçons de leurs prédécesseurs, même s’ils doivent encore explorer de nombreuses zones incertaines et répéter certaines erreurs de leurs aînés. Il faut consacrer beaucoup plus de temps et d’efforts à la découverte de nouvelles sciences naturelles et à la création de nouvelles technologies qu’à leur simple apprentissage».

Quelques comparaisons succinctes

Guangyuan soulignait que l’élévation du niveau de vie de la population constitue l’objectif ultime des processus de réforme, même si certains peuvent s’enrichir en premier. Le graphique sur ce site présente les données de deux variables pertinentes pour la période 1980-2024 pour la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni. Avant d’analyser le graphique, une brève explication des deux variables:

• (échelle de gauche) PIB par habitant, PPA (dollars internationaux constants de 2021) représente le revenu moyen par personne, ajusté de l’inflation et du coût de la vie local, permettant une comparaison réelle des niveaux de vie entre pays et dans le temps.

• (échelle de droite) l’indice de Gini mesure les inégalités de revenu au sein d’un pays. Une valeur de 0 indique une égalité parfaite (tout le monde a le même revenu), tandis qu’une valeur de 100 indique une inégalité totale (une personne concentre tous les revenus). En général, une valeur supérieure à 40 signale des inégalités élevées.

Les données révèlent que, bien que les trois pays aient vu leur richesse croître, leurs trajectoires ont été différentes. La Chine a connu une hausse substantielle du niveau de vie, bien qu’accompagnée initialement d’inégalités élevées, qui commencent récemment à diminuer.

Les États-Unis ont connu une forte croissance du revenu moyen, mais avec des inégalités persistantes. Le Royaume-Uni a trouvé un équilibre, obtenant une croissance significative du niveau de vie tout en maintenant des inégalités plus faibles que celles des États-Unis.

Ainsi, les données montrent une convergence du niveau de vie moyen vers celui des pays développés comme le Royaume-Uni et les États-Unis, ce qui constituait un objectif central de la politique de «réforme et d’ouverture». Cependant, comme la mission ne visait pas seulement à augmenter le niveau moyen mais le niveau général, la hausse de l’indice de Gini montre que les bénéfices de la croissance n’ont pas été répartis équitablement pendant longtemps. La tendance récente à la baisse de l’indice de Gini en Chine (passé d’un pic de 43,7 en 2010 à 35,7 en 2021) indique que la politique évolue pour corriger ces effets d’inégalités délibérément tolérées.

Niveaux de vie et inégalités de revenus en Chine, aux États-Unis et au Royaume-Uni (1980–2024)

Note: PIB par habitant, PPA, dollars internationaux constants de 2021 (échelle de gauche) et indice de Gini
(échelle de droite). Source: World Development Indicators.